Monday, May 18, 2009

Effrayé par la France profonde



Il y a un bar, à Port-sur-Saône, que l'on nomme le Niagara; et ce fut l'arrêt de festivaliers (et Dieu sait que j'en suis un) sur la route des Eurockéennes en 2005. La conductrice voulait faire une pause, nous nous étions arrêtés là par hasard le temps de racheter des clopes et nous poser quelques minutes dans un troquet, le temps d'un café ou un jus d'orange. Je ne me doutais pas de ce que nous allions découvrir. Nom de Dieu, l'allure du rade...

Le décor était visiblement figé depuis les années 70. Pas celles du flower power, celles des murs aux couleurs orange passées, de la clientèle louée à l'année que j'imaginais reliée au comptoir par d'épaisses toiles d'araignées. La taulière, une créature décharnée dont les cheveux avaient du être en brosse à une époque incertaine, était venu prendre les commandes d'une voix cassée de vieille fumeuse. Nous étions trois, et il lui fallu redemander plusieurs fois d'un air hagard afin de se souvenir de tout. Nous provoquions probablement un chambardement notoire dans le train-train de son bistrot. Et, d'ailleurs, nous nous sentions quelque peu observés. Deux jeunes filles et un grand chevelu, trois étrangers dans la ville, ça ne passait pas inaperçu. Peut-être parce que nous avions du mal à réprimer quelques pouffements, aussi. Néanmoins, les consommations arrivèrent, et avec elles une spécialité locale dont nous nous serions passés : les mouches. Le bar est infesté de mouches.

Cela ne semblait pas déranger l'aviné accoudé au zinc, un beauf de style Cabu, milieu du vingtième siècle. Pas plus que les deux petits vieux venus s’asseoir à la table d’à coté. L’un, bouche bée et le regard perdu, portait élégamment le haut de survêtement. L’autre... Où avait-il dégotté cette veste à carroyage dans les tons vert, beige et rose saumon mal digéré ? Et surtout, que faisait Dieu lorsqu’il a choisi d’y adjoindre une écharpe d’un violet pâle ? Et le galurin tyrolien - le terrible chapeau vert à ruban de cuir orné de médailles sur les flancs... Pas possible. Les grosses bésicles et le cigare, c’est cadeau, et je ne décrirai pas les toilettes.

A peine finis nos breuvages, nous décidons qu'il est grand temps de quitter l'estaminet. Et là, en dépliant ma carcasse, ma tête heurte la télé (éteinte, mais je suppose en noir et blanc) sournoisement accrochée juste au dessus. C’est l’apothéose. Ils parlent. "Oh, mais faut arrêter de grandir, jeune homme", "c’est pas bon pour la santé d’être grand comme ça", les commentaires fusent, prononcés par des accents à déblayer à la charrue. Je ne sais plus où me mettre, je bredouille quelques mots et nous nous éclipsons avant d’avoir notre photo dans le quotidien local.

Sortis de là, on respire. Je n’étais pas directement à coté des petits vieux, mais on m'a dit qu’ils sentaient la ferme. Port-sur-Saône, nous n’oublierons jamais.

A quoi pensait-elle, la conductrice? Fallait-il qu'elle soit idiote pour s'arrêter à Port-sur-Saône (et accessoirement ne jamais comprendre pourquoi je passais There Is A Light That Never Goes Out dans sa voiture). Toute personne sensée doit savoir qu'on ne s'arrête pas en Haute-Saône.
On fuit.


C'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'une réfugiée provinciale à Paris, qui profite à présent d'une vie culturelle décente, de bars à peu près fréquentables (quoique les surprises existent, mais c'est une autre histoire) et de concerts à foison auxquels elle assiste parfois vêtue d'un t-shirt du Moz, preuve irréfutable de bon goût. C'est elle qui m'a fait découvrir Heartless Bastards. Peut-être s'agit-il d'un atavisme rural, elle aime cette sorte d'indie blues teinté d'un chouïa d'instrumentations country. Le côté rugueux de la country, celui qui se retrouve chez Fat Possum, maison de qualité fondée je sais pas trop quand et peu importe. Les disques de Heartless Bastards auraient pu être enregistrés n'importe quand, comme ceux des Black Keys ou les premiers White Stripes - ce qui me rassure quant au fait qu'on peut sortir d'un trou paumé et faire d'excellentes choses. Une question reste en suspens : à qui peut bien nous faire penser la voix de la chanteuse? Je penche pour une Jack White au féminin, mais pas vraiment. Quelque chose qui vient du blues ou de la soul. Si vous avez un avis sur le sujet:


Heartless Bastards – The Mountain

Heartless Bastards – Out At Sea

Heartless Bastards – So Quiet


Heartless Bastards joue au Nouveau Casino mardi en ouverture de la soirée Custom (où l'on écoutera aussi Akron/Family, et sans doute un peu moins Fan Death), et c'est une bonne raison pour être à l'heure, et pour être là plutôt qu'en Haute-Saône.

4 Comments:

Anonymous fb said...

Satanes bourgeois.
Si elle ne vous plait pas la France d'en bas, quittez la!

7:08 AM  
Blogger Unknown said...

superbe !

2:43 PM  
Blogger Unknown said...

merci pour cette decouverte, c'est assez formidable..

7:28 AM  
Anonymous Anonymous said...

Merci pour cette information interessante

9:03 PM  

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